Le Blog de Carloman

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SIEGE - Chapitre V

 

Le palais de Nasarius se situait sur le versant d'une des deux collines qui formaient l'acropole d'Hyrdanos. Plus qu'un palais, c'était en réalité un assemblage de divers bâtiments. Les toits étaient couverts de belles tuiles, et les coupoles de feuilles d'or. L'utilisation de l'arc de plein cintre et la régularité des colonnades de pierre blanche donnaient une unité à l'ensemble malgré l'absence de symétrie. A l'intérieur de l'édifice, le visiteur évoluait de salles spacieuses en larges couloirs, et partout le marbre, la pourpre, les dorures, l'argent témoignaient de l'opulence du propriétaire. Une foule de pièces, plus petites, servait de logis à l'armée de serviteurs que nécessitait l'entretien d'un tel complexe. A vrai dire, Aksaros connaissait les lieux puisqu'il les avait visités plusieurs mois auparavant, à l'époque où il enquêtait sur Nasarius pour le compte de Tarcho. Ce qui lui avait valu de finir dans les geôles de la citadelle de Saër, où il devait rencontrer Djin'kura. Ce fut sans grand plaisir que le mercenaire pénétra à nouveau dans l'antre de Nasarius au point du jour, après avoir obtenu l'aval de Gouriès. A cette heure matinale, le grand-maître devait être occupé par les cérémonies en l'honneur de Saër, dans le sanctuaire privé – le plus vaste d'Hyrdanos – qu'il s'était fait bâtir. Aksaros ne perdit pas de temps et se dirigea directement vers cet endroit. Les dévots de Saër, revêtus de leur ample manteau blanc et vert à capuche, se pressaient au niveau des grandes portes argentées. Caché derrière une tenture, le Xèrien guetta un retardataire, et une fois que sa dague l'eut réduit au silence, il revêtit le manteau des fidèles. Les chants montaient depuis le sanctuaire, emplissant le grand couloir qui précédait les portes argentées. Encapuchonné, Aksaros rejoignit incognito la foule et, jouant des coudes, il parvint à gagner les premiers rangs de la fervente assemblée.

 

La liturgie ne manquait pas de faste. Aux pieds d'une statue en bronze de douze mètres de haut figurant le dieu trônant en majesté, couronné et cuirassé, les épaules couvertes d'un manteau pourpre, portant d'une main la hache bipenne et de l'autre l'épi de blé, Nasarius présidait la cérémonie au son des haches frappées sur les boucliers, l'atmosphère chargée des odeurs dégagées par les plantes exotiques qui brûlaient dans deux grandes vasques dorées. Saër, dieu de la guerre et de la fertilité, résumait bien les valeurs de la vieille aristocratie hyrdanienne : une richesse d'origine agraire renforcée par un prestige acquis sur les champs de bataille. Aksaros repéra Salantès, un peu en retrait, et fut soulagé de constater qu'aucun de ses disciples n'était visible. Deux grands tigres à dents de sabre étaient nonchalamment allongés, près de Nasarius, sur les marches qui menaient jusqu'à la statue. La salle était pleine et les prières montaient jusqu'à la coupole où de somptueuses mosaïques narraient la geste du dieu. Le Xèrien décida de jouer l'effet de surprise. Il portait son arbalète chargée contre lui en entrant. Après avoir mesuré de l’œil les distances et les trajectoires, il rejeta brusquement le manteau et bondit. En quelques instants, il fut en haut des marches et, braquant son arbalète sur Salantès, il lui décocha un carreau qui atteignit le sorcier au bras. Ce dernier poussa un cri déchirant. La cérémonie s'interrompit, et, avant que l'assemblée médusée eût compris ce qui se passait, Aksaros, qui s'était débarrassé de son arbalète, dégaina son épée à lame flamberge et se saisit de son bouclier qu'il portait dans le dos. Il était temps, car les deux tigres à dents de sabre se jetèrent sur lui. Nasarius, sortant de sa torpeur, comprit la situation : blessé au bras, Salantès était incapable de recourir à la magie. Le seigneur hyrdanien arracha une hache bipenne et une rondache des mains d'un assistant stupéfait puis hurla :

« Ce chien est à moi ! ».

 

L'un des tigres gisait déjà, mort, dans une flaque de sang, tandis que l'autre, grièvement blessé, battait en retraite en poussant des gémissements plaintifs. Aksaros fit face à Nasarius. L'assemblée des dévots, figée et silencieuse, observait la scène. Le Xèrien avait profané le saint des saints, il appartenait à leur grand-maître de punir ce sacrilège. Les deux adversaires se jaugeaient. Nasarius se tourna brièvement vers la statue et adressa cette prière à son dieu :

« Saër, puissant seigneur des guerriers, donne-moi la force ! »

Puis l'Hyrdanien s'élança le premier, et la lame de sa hache s'écrasa violemment sur le bouclier de bronze d'Aksaros, laissant une marque importante. Contre-attaquant aussitôt, le mercenaire ne réussit pas à toucher son ennemi, bien protégé par sa rondache. Le Xèrien lança alors son bouclier sur Nasarius qui para l'attaque, mais ne put éviter la dague lancée par le mercenaire qui l'atteignit à la cuisse. Le grand-maître grimaça de douleur et serra les dents. Aksaros se précipita sur lui et frappa à coups redoublés. Nasarius perdait du sang et sa blessure l'affaiblissait. Il tenta de riposter tant bien que mal mais la hache bipenne était une arme de cérémonie, lourde, peu maniable, même pour un maître d'armes accompli comme l'était le seigneur hyrdanien. Il ne put éviter une nouvelle attaque du Xèrien, et regarda, incrédule et horrifié, un flot de sang se répandre sur le sol après qu'Aksaros l'eût transpercé de son épée au niveau de l'estomac. Celui qui avait été l'un des hommes les plus puissants d'Hyrdanos rendit l'âme dans un râle. Le Xèrien s'approcha de son cadavre et lui trancha la tête d'un coup sec. Puis, se dirigeant vers l'assemblée des fidèles, il s'arrêta en haut des marches, près du corps du tigre à dents de sabre, et dans un geste théâtral, tendit le bras pour présenter la tête de Nasarius à ses partisans. Cette haute silhouette, solidement campée sur ses jambes, casquée, cuirassée de bronze et de cet étrange alliage rouge-ocre, baignée par la lumière qui filtrait depuis les hautes fenêtres de la coupole, et dont l'épée dégoulinait encore de sang frais, dégageait une telle aura qu'elle fascinait autant qu'elle terrifiait les dévots. Certains murmurèrent que Saër lui-même était venu démettre le grand-maître de ses fonctions. Aksaros jeta la tête de Nasarius au milieu de ses fidèles et ceux-ci s'écartèrent en hurlant, provoquant un mouvement de foule.

 

Le mercenaire profita de la confusion pour se tourner vers Salantès, mais il poussa un juron en constatant que le mage avait pu s'éclipser malgré sa blessure. Trop tard pour courir après ce maudit sorcier, pensa le Xèrien. Il se dépêcha de prendre l'anneau sigillaire de Nasarius, puis gagna une des portes dérobées située derrière la statue du dieu. A grands pas, il se dirigea vers la bibliothèque, prévoyant que les dévots de Saër ne tarderaient pas à reprendre leurs esprits et à le traquer. Parvenu au milieu des rayonnages où s'alignaient des livres bien rangés, Aksaros serra dans sa main son pendentif gravé d'antiques symboles cabalistiques, un objet que Djin'kura lui avait donné afin de neutraliser un éventuel piège magique, puis il s'empressa de fracasser à coups d'épée les serrures des trois grands coffres de bois qui se trouvaient dans un coin de la pièce. Son instinct l'avait convaincu que c'était là que se trouvait ce qu'il recherchait. Une petite porte donnait sur le cabinet de travail de Nasarius, mais Aksaros avait déjà eu l'occasion de fouiller cette pièce, et elle ne recelait rien d'intéressant. C'était dans la bibliothèque qu'un piège magique avait neutralisé le mercenaire, ce qui signifiait qu'une chose précieuse était cachée ici. Le premier coffre se révéla décevant : amas de vieux parchemins usés, talismans divers et variés – babioles sans intérêt – et... dessins érotiques fort suggestifs ! Des cris et des bruits de pas alertèrent le Xèrien : les dévots de Saër fouillaient le palais. Il fallait faire vite. Sous son casque, Aksaros avait chaud, et les gouttes de sueur coulaient sur ses tempes. Il poussa un grognement de colère et d'impatience en constatant que le deuxième coffre contenait à peu près la même chose que le premier, lorsque, sous un livre poussiéreux, il la trouva : une pierre grosse comme le poing, verte, translucide, sans aucune impureté, chaude au toucher. Elle correspondait en tout point à la description que Djin'kura en avait faite. Conformément aux instructions qu'il avait reçues, le mercenaire enveloppa soigneusement la pierre dans un morceau de tissu que lui avait remis la sorcière elfe.

 

Les cris et les pas se rapprochant, Aksaros estima le moment venu de partir. Salantès lui avait échappé et cela le contrariait, mais Nasarius était mort et il avait la pierre de pouvoir. La bibliothèque se trouvait au premier étage et de larges fenêtres donnaient sur le jardin, où patrouillait une poignée de dévots en armes. Derrière la porte de la bibliothèque, les voix se faisaient entendre plus distinctement. Le mercenaire n'hésita plus, il s'élança, brisa une fenêtre dans son élan et se réceptionna près d'un palmier. Les dévots de Saër qui le virent se précipitèrent sur lui, mais l'épée d'Aksaros les expédia ad patres dans un sifflement lugubre. S'étant frayé un chemin sanglant jusqu'au mur qui séparait le jardin de la rue, Aksaros le franchit en grimpant à un cèdre tout proche qui étendait ses branches au-delà du mur. Puis il disparut dans les rues adjacentes, semant la meute hurlante de ses poursuivants.

 

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31/08/2020
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