Le Blog de Carloman

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SIEGE - Chapitre II

 

Au second étage de sa demeure, Gouriès avait installé son cabinet de travail dans une vaste pièce à colonnes de pierre blanche. Contre les murs se dressaient de larges meubles de bois sur les étagères desquels s'entassaient de manière désordonnée un grand nombre d'ouvrages en parchemin ou en papier, en livres comme en rouleaux. De grandes tentures pouvaient occulter certaines parties de la pièce si le maître céans le souhaitait. Répartis à intervalle régulier, de grands braseros de bronze, dont les pieds figuraient des sphinx, des dragons et des chimères jetaient des ombres dansantes sur les dalles de marbre. Au centre, le conseiller avait placé son bureau, une solide table de chêne près de laquelle se trouvait un confortable fauteuil posé sur une peau de léopard. Gouriès s'assit, congédia le serviteur qui venait de déposer une cruche de vin et deux coupes d'argent sur le bureau, puis s'abîma en méditation tout en caressant distraitement sa barbe aussi blanche que fournie. Au bout d'un moment, il releva la tête, comme tiré de ses rêveries par un cliquetis métallique.

« Tu peux venir, nous sommes sommes seuls » dit simplement l'Hyrdanien en versant du vin dans une des coupes.

Une des tentures s'écarta alors et un homme s'avança dans la clarté des braseros. De haute taille, il portait une cuirasse constituée de plaques de bronze liées entre elles par des lanières de cuir (les bonnes armures, en fer ou en acier, coûtaient une fortune). Des pièces forgées dans un étrange alliage rouge-ocre protégeaient ses bras et ses épaules. Le casque qu'il portait à la main droite était fait de plaques rivetées du même matériau. Dans son dos était accrochée une arbalète, et à son côté droit pendait un carquois rempli de carreaux. Sa main gauche tenait un petit bouclier rectangulaire en bronze, aux bords échancrés, sans autre décoration qu'une tête équine stylisée peinte en noir. Un baudrier de cuir soutenait une épée moyenne à lame flamberge, une spécialité des forgerons travaillant dans les principautés septentrionales de Banor et de Xèria. A sa large ceinture noire à boucle de bronze étaient fixés de petits fourreaux dans lesquels sommeillaient les lames acérées de deux dagues. Un mince filet de cheveux descendant jusqu'au milieu du dos et, sur les côtés, deux petites tresses trahissaient l'origine xèrienne de cet homme. Il posa son regard gris-bleu sur le vieux marchand.

 

« Alors, Gouriès, as-tu démasqué cette fripouille de Nasarius ? questionna-t-il d'un ton bourru, dans une langue étrangère.

- Cette canaille s'en est bien sortie, avoua le marchand en tendant la coupe de vin à son invité, et usant du même dialecte. Il n'a rien avoué et s'est présenté en prophète de malheur. Nasarius et ses partisans n'ont jamais accepté l'ascension des négociants, et notre entrée au Conseil leur reste en travers de la gorge. A chaque séance, ils sont mortifiés de nous voir siéger. Ils savent que nos échanges avec les elfes de Thosq représentent une part importante de notre activité... et de nos gains. A l'ouest et au nord, les Toréians et les Banorites prélèvent de lourdes taxes et d'onéreux péages, et à l'est les nains exigent des rabais et des concessions, même pour la plus insignifiante transaction ! Quant aux hommes basanés du sud, ils ne sont pas fiables, un jour ils t'accueillent comme un frère, un autre ils te dépouillent et t'abandonnent sans vivres au milieu du désert. Les elfes de Thosq sont une bénédiction, eux qui ne rechignent pas à acheter au prix fort. » L'étranger examina la coupe d'argent, vit qu'elle était décorée de motifs végétaux incisés et sertie d'une pierre semi-précieuse couleur feu.

« As-tu évoqué Salantès ?

- Eh oui, mais que veux-tu, la plupart des conseillers ont une peur bleue des mages. Non seulement personne ne m'a soutenu, mais Nasarius ne s'est pas privé de rappeler que Salantès est de bonne lignée hyrdanienne, alors que mon grand-père était un Xèrien, comme toi... »

 

Les paroles de Gouriès contrarièrent l'étranger.

« As-tu donc honte de tes origines, Gouriès ? demanda le guerrier, sarcastique. Nous n'avons pas à rougir. Les palais aux colonnes noirs et écarlates et aux fresques chatoyantes de Xèria valent bien les dômes dorés et les colonnades de marbre des grandes demeures d'Hyrdanos !

- Je ne sais rien de Xèria, admit le vieil homme. De mes origines, il ne me reste que la langue, que mon père m'a transmise. Je suis né ici, et j'y ai toujours vécu. »

Il marqua une pause pour se servir du vin.

« Évidemment, si tu acceptais de témoigner devant le Conseil... reprit le marchand en vidant sa coupe.

- Tu sais bien que c'est impossible, le coupa le guerrier avec un geste d'impatience. Me vois-tu avouer devant les chefs hyrdaniens que j'étais envoyé par un magnat de Banor pour espionner l'un d'entre eux ? Ils me feront pendre ! Et toi avec.

- Tu ne sais vraiment rien de cette sorcière elfe emprisonnée dans la citadelle de Saër ?

- Je te l'ai déjà dit, j'ignore son nom comme son rang. Mais vu le déploiement de forces auquel nous assistons, je suppose que Nasarius et Salantès n'avaient pas capturé un second couteau.

- Saurais-tu la reconnaître ? s'enquit Gouriès.

- Sans aucun problème. A quoi songes-tu ?

- Voilà ce que tu vas faire, Aksaros... »

 

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25/08/2020
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