Le Blog de Carloman

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SIEGE - Chapitre IV

 

L'elfe entra dans sa tente et s'approcha d'une petite table pour prendre une amphore dont elle versa le contenu dans une coupe. Ce magnifique objet, en or massif, contrastait avec l'armure anthracite et le manteau foncé que portait la créature. Son abondante chevelure brune, qu'elle laissait libre, ondulait sur ses épaules, jusqu'au-dessus de la poitrine. Son visage aux traits fins et gracieux affichait une sérénité satisfaite, mais un bandeau de tissu masquait son œil gauche. Soudain, ses longues oreilles effilées perçurent un bruit inhabituel et elle se retourna vivement pour se trouver nez-à-nez avec un homme de haute taille, protégé par une cuirasse faite de plaques de bronze et d'un étrange alliage rouge-ocre, qui pointait sur elle son arbalète. Elle ne manifesta aucune émotion particulière devant cette apparition, prit le temps de vider sa coupe avant de la poser calmement, sans toutefois quitter l'intrus de son œil unique.

« Je vois que tu as pu te faufiler jusqu'ici, Aksaros, dit-elle avec une pointe de moquerie. Félicitations. Je dois blâmer la négligence de mes gardes.

- Oh, tu sais, tes guerriers squelettes sont impressionnants, mais, outre qu'ils sont stupides, ils ne font pas le poids face à un homme habitué à manier l'épée. Cela étant, votre petit tour a fait son effet. J'entends d'ici nombre d'Hyrdaniens hurler de peur dans leur sommeil. Quant aux soldats de ta garde personnelle, ils sont en effet trop distraits. Si j'étais leur commandant, j'en ferais pendre quelques uns pour l'exemple.

- Donc tu es venu pour me tuer, je suppose, poursuivit l'elfe. Crois-tu pouvoir m'éliminer avec une arme aussi ordinaire ?

- Mon arme ne peut pas grand-chose contre ta magie, admit le Xèrien. Mais l'usage de la magie obéit à certaines contraintes : il faut faire des mouvements précis et avoir le temps de prononcer les mots adéquats. Or mon arme ordinaire comme tu dis, mettra moins d'une seconde à t'envoyer un carreau en plein cœur. Et au cas où tu ne serais pas tuée sur le coup, sache que la pointe est enduite d'un poison foudroyant... Mais j'ai bon espoir d'éviter un tel dénouement.

- Que veux-tu ? demanda l'elfe en fixant l'arbalète.

- Eh bien je me permets de réitérer la requête que je t'avais présentée après que nous nous fûmes enfuis des geôles de Nasarius. Qui es-tu ? »

 

L'elfe plongea son regard intense dans celui d'Aksaros, essayant de deviner ses motivations profondes, mais rien ne se lisait dans le regard gris-bleu du Xèrien, rien d'autre qu'une inflexible détermination.

« Je suis charmée d'apprendre que tu as pris tous ces risques pour connaître mon nom. Pour un peu, je croirais que tu es venu me faire la cour... » reprit-elle d'un ton badin.

Aksaros resta immobile et silencieux.

« Eh bien, je vais t'exaucer. Je me nomme Djin'koura, et suis l'héritière d'une très vieille lignée de seigneurs ourgash. Je siège au Haut Conseil des Ourgash de Thosq. Es-tu satisfait ? »

Pour toute réponse, Aksaros abaissa son arbalète et retira le carreau prêt à être tiré. L’œil de l'elfe brilla d'un vif éclat.

« A présent, tu es à ma merci, reprit Djin'koura. Tu aurais peut-être dû me tuer...

- Je ne suis pas venu pour te tuer. Je suis venu pour essayer de mettre fin à cette folie, car personne n'a rien à gagner dans cette guerre.

- De quel côté es-tu, Aksaros ? demanda Djin'koura en fronçant les sourcils.

- Je suis un mercenaire comme tu le sais, et un mercenaire est du côté des gens qui le paient. Et il se trouve que l'homme qui me solde souhaite éviter un bain de sang. Il se nomme Gouriès, c'est un conseiller hyrdanien, comme Nasarius, mais il appartient à la faction opposée, celle qui se compose des marchands et des armateurs dont l'intérêt est de commercer en bonne entente avec ton peuple. »

Djin'koura s'approcha sans crainte d'Aksaros, et lorsqu'elle fut près de lui, elle le toisa. Quand elle reprit la parole, une sourde colère rendait sa voix plus rauque.

« As-tu oublié dans quel état tu m'as trouvée dans ce cachot infect ? Sais-tu combien de temps j'ai été retenue prisonnière et torturée ? Non seulement Nasarius a meurtri mon corps avec la féroce morsure du fouet et la douloureuse étreinte des tenailles, mais Salantès a cherché à me briser mentalement par des attaques psychiques répétées. »

Sa voix se radoucit brusquement.

« Quand tu m'as libérée, je n'étais pas loin de céder. Il n'aurait pas fallu beaucoup de temps pour que Nasarius et Salantès viennent à bout de ce qui me restait de volonté. Chaque jour je rends grâce aux dieux de m'avoir mise sur ta route ce jour-là. »

Son visage se crispa, elle baissa la tête et fit quelques pas.

« Malheureusement, mes tourments n'ont pas pris fin après mon départ d'Hyrdanos. Lorsque je suis entrée dans cette sinistre prison, j'avais deux yeux. La magie ne peut pas tout, Aksaros, notamment elle ne peut recréer à l'identique ce qui a été détruit. Mais il n'y a pas que cela. Les tortures de Salantès m'ont laissé de terribles séquelles : mes nuits sont peuplées de visions cauchemardesques, et le jour, il arrive que l'angoisse m'oppresse au point de me laisser prostrée de longues heures. Ces misérables méritent un châtiment exemplaire pour ce qu'ils m'ont fait subir. Je suis Djin'koura, d'une haute lignée de seigneurs ourgash, on ne peut impunément s'en prendre à moi. D'ailleurs que feraient les humains si un de leurs chefs était maltraité comme je l'ai été ? Ils prendraient les armes, à coup sûr. J'ai convaincu le Haut Conseil des Ourgash de mener cette expédition punitive et je ne partirai pas avant d'avoir obtenu ma vengeance légitime. Ma cause est juste, Aksaros, tu le sais mieux que quiconque. »

Disant cela, Djin'koura s'assit sur le siège curule qui trônait au centre de sa tente. Son maintien ne manquait pas de noblesse.

 

Le Xèrien réfléchissait à ce qu'il venait d'entendre.

« Mais comment Nasarius et Salantès t'ont-ils capturée ? Et qu'attendaient-ils de toi ?

- Ils m'ont piégée. Salantès m'avait écrit pour me faire part de ses travaux, et ces derniers avaient éveillé ma curiosité. J'ai été assez stupide pour accepter de le rencontrer au large d'Hyrdanos sur une galère de Nasarius. Une drogue et un sort de contrôle mental leur ont permis de me capturer. J'étais venue seule, sans escorte, sur un navire marchand. Quant à ce qu'ils voulaient... La citadelle de Saër est construite sur les ruines d'un antique sanctuaire bâti par un peuple de notre race, il y a des dizaines de millénaires. Nasarius et Salantès y ont découvert un puissant catalyseur de magie – ce que nous autres sorciers appelons une pierre de pouvoir – et ils espéraient que je leur indiquerai la façon de s'en servir.

- Mais lorsque nous avons croisé Salantès dans les sombres couloirs de la citadelle, pourquoi ne l'as-tu pas tué ? demanda le mercenaire.

- Je n'en avais tout simplement pas la force. La formule que j'ai utilisée est ce qu'on appelle un sortilège de temporisation. Je ne pouvais pas faire mieux à ce moment.

- Pourquoi ne pas envoyer un message au Conseil d'Hyrdanos pour expliquer la situation et exiger qu'on te livre ces deux hommes ? Après tout, l'immense majorité des Hyrdaniens n'y est pour rien.

- Tu es en train de me dire qu'un des chefs les plus en vue d'Hyrdanos peut perpétrer ses méfaits sans que personne ne soit au courant ? Une cité qui a de tels dirigeants mérite d'être rasée jusqu'aux fondations. Mais quand bien même. A mes accusations, Nasarius opposera ses dénégations, réclamera des preuves que je ne puis fournir. A part la parole d'un mercenaire étranger... Et puis il y a autre chose.

- Quoi donc ?

- Le Haut Conseil des Ourgash veut récupérer la pierre de pouvoir. Elle a été faite par des gens de notre race. Elle nous revient de droit. »

Aksaros croisa les bras et se mit à rire.

« Donc, si je comprends bien, pour que toi et tes amis épargniez Hyrdanos et ses habitants, il faut que je t'amène sur un plateau les têtes de Nasarius et Salantès, ainsi que la pierre de pouvoir. Un jeu d'enfant, en somme, ajouta ironiquement le Xèrien.

- Salantès te tuera, dit doucement Djin'koura. Crois-moi, Aksaros, quitte Hyrdanos au plus vite, c'est la meilleure chose que tu aies à faire.

- Peut-être. Combien de temps peux-tu retenir tes troupes ? Je ne parle pas des guerriers squelettes mais des vrais combattants, en chair et en armure, si je puis dire.

- Il n'y a pas de commandant suprême, ma voix ne vaut pas plus que celle des trois autres seigneurs ourgash qui m'accompagnent.

- Combien de temps ? » répéta obstinément le Xèrien.

Djin'koura parut hésiter.

« Deux jours, répondit-elle enfin. Pas plus.

- Bien. A présent tu vas me décrire précisément cette pierre de pouvoir... »

 

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30/08/2020
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