Le Blog de Carloman

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MALEDICTION - Chapitre IX

 

Aksaros ouvrit les yeux et le soleil pourtant déclinant l'aveugla. Puis il distingua les contours d'un visage penché sur lui. La surprise laissa place à l'horreur lorsqu'il reconnut la sphinge qu'il avait affrontée dans la sombre mine ! Il fut cependant incapable de bouger ses membres ankylosés. Ils se trouvaient au-dessus des ruines de Gadûnzor, au milieu des sapins altiers.

« Je n'ai plus de force, articula le Xèrien, résigné. Tue-moi, qu'on en finisse. »

Il remarqua toutefois que la créature n'avait plus le regard fou dont il se souvenait. Ses yeux noisette et ses traits détendus ne laissaient voir que calme et sérénité. La créature ne manifestait aucune hostilité, aucune agressivité apparente.

« Non, je ne te tuerai pas, humain » déclara la sphinge, d'une voix un peu rauque mais aux accents si féminins que le mercenaire tressaillit.

- Pourquoi ? Qui es-tu ? Est-ce toi qui m'as sorti des ruines de Gadûnzor ?

- Ce sont bien là les manières des humains, toujours à poser mille questions plutôt qu'à réfléchir posément aux réponses, s'amusa la créature. Mais je vais te répondre, homme de Xèria. Je me nomme Naïra, reine des sphinges de ces montagnes, enfin ce qu'il en reste. Les ancêtres des Xèriens ont tué beaucoup des miens, avant que le traité signé avec les gens de Gadûnzor mette fin à cette guerre séculaire. Je t'ai sauvé d'une mort certaine – mais ma présence était un hasard, j'étais venue régler des comptes – et je vais t'épargner parce que tu m'as libérée de l'emprise du sorcier qui occupait Gadûnzor, et tu as même éliminé cet être maléfique. Il y a quelques temps, j'étais venue, par curiosité, croyant que d'anciens habitants de Gadûnzor se réinstallaient dans les ruines. Ce maudit mage m'a capturée et m'a soumise à son bon vouloir grâce au diadème. En brisant celui-ci, tu as rompu le sort de contrôle mental, et je te suis redevable. Cela étant, tu es condamné, ajouta la sphinge en regardant les blessures du mercenaire.

- Comment cela ?

- Tu as vaincu le dernier homme-loup de la lignée de Gadûnzor, mais il t'a mordu, t'inoculant un poison lent, mais très puissant. Soit tu mourras, et entre nous c'est le plus probable, soit tu survivras, mais tu deviendras, ironie du sort, un de ces monstres que les gens comme toi pourchassent sans pitié.

- Les hommes-loups ? Tous les gens de Gadûnzor étaient donc des monstres de cet acabit ? s'étonna le mercenaire.

- Beaucoup l'étaient, oui. Le temple de Gadûnzor abritait un très ancien culte du dieu-loup, et, en échange de leur allégeance, les hommes de cette contrée avaient reçu de leur divinité le don de changepeau : ils pouvaient se transformer en créature lupine. Ils vivaient en amitié avec mon peuple. C'est pourquoi, quand ils firent alliance avec Xèria, une clause secrète du traité fixa la limite entre le territoire des Xèriens et le nôtre. Le conflit entre Xèria et les sphinges des montagnes s'éteignit alors.

- Voilà donc le mystère qui entourait les gens de Gadûnzor... dit pensivement Aksaros. L'exarque de Xèria connaissait donc la nature des hommes des montagnes ?

- Non, le grand prêtre garda cette information secrète, de peur que les Xèriens refusent une alliance avec des... monstres, comme vous nous appelez.

- Mais il y eut des mariages entre Xèriens et gens de Gadûnzor ! s'exclama le mercenaire. Or aucun Xèrien issu de ces unions n'a jamais développé un tel pouvoir.

- Pour acquérir le pouvoir de changepeau, il faut être issu, en lignée masculine exclusivement, d'un ancêtre ayant reçu ce don. Ou bien être mordu... Et survivre. Des femmes de Gadûnzor sont allées à Xèria et ont épousé des Xèriens, mais aucun homme de Gadûnzor n'est parti prendre femme parmi les Xèriennes... Et cela arrangeait tout le monde, les Xèriens n'aimant guère marier leurs filles à des étrangers. Mais tout cela n'a plus d'importance, désormais. La lignée des hommes-loups, déjà agonisante depuis le sac de Gadûnzor, est éteinte. Et toi, mon pauvre ami, tu n'en as plus pour très longtemps.

- Alors je ne veux pas de ta compassion ! Achève-moi.

- Non, dit Naïra. Bien que la plupart des Xèriens l'ait oublié, le traité est toujours en vigueur. Je ne dois pas tuer un Xèrien qui ne m'aurait pas attaquée. En plus, tu as mis fin à mon calvaire comme esclave de ces usurpateurs. »

La sphinge leva la tête, tendit l'oreille et huma l'air.

« Ton ami le nain approche. C'est à lui de t'ôter la vie, si vraiment c'est là ce que tu désires. Seul un ami peut accomplir une telle besogne. Adieu, homme de Xèria. »

Prenant son élan, Naïra s'élança majestueusement dans les airs et disparut bientôt derrière la cime des sapins, au moment où, après s'être péniblement redressé, Aksaros aperçut Valdrim qui, surgissant de la forêt, se hâtait vers lui.

 

FIN

 

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25/04/2021
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