Le Blog de Carloman

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LA CITADELLE DES BRUMES - Chapitre I

6ème nouvelle en 7 chapitres du cycle ikharrien

 

Djin’koura gravit la colline d’un pas rapide, nullement gênée par le poids de son armure de plates anthracite. Contrairement à son habitude, elle avait noué sa chevelure sombre. D’étranges et colossales pierres, dressées en cercle, couronnaient le sommet de la butte, dans cette région reculée, froide et humide des Confins. La sorcière elfe pénétra prudemment dans le cercle de pierre, la main sur le pommeau de sa grande épée. Mais sa méfiance s’estompa sitôt qu’elle le vit : Aksaros était assis, sur l’herbe, adossé à une pierre massive, silencieux, la tête sur les genoux. Son casque, son épée à lame flamberge, son arbalète et son bouclier rectangulaire aux bords échancrés décoré d’une tête de cheval stylisée étaient négligemment posés à ses côtés. Djin’koura s’approcha jusqu’à environ trois mètres du Xèrien, puis se tint, immobile et silencieuse, devant lui.

 

Aksaros redressa la tête et soupira.

« Qu’est-ce qui t’amène ? demanda-t-il d’un ton las. Est-ce Valdrim qui t’a dit où me trouver ?

- Oui, il s’inquiète pour toi. »

Le Xèrien sourit tristement.

« C’est un véritable ami, assurément. Mais il ne peut rien pour moi. Personne ne peut rien pour moi. Même la magie de ton peuple est impuissante devant cette malédiction.

- Pourquoi dis-tu « malédiction » ? »

Aksaros lança un regard surpris à Djin’koura.

« Et comment veux-tu que je l’appelle ? Une bénédiction ? répliqua-t-il avec humeur.

- Peut-être devrais-tu envisager de considérer les choses d’un point de vue un peu différent.

- Comment cela ?

- Pour vous les humains, tout ce qui ne vous ressemble pas, tout ce que vous ne comprenez pas, est nécessairement monstrueux. La mort ? Une malédiction. L’existence d’autres espèces intelligentes ? Une aberration, une atteintes à l’ordre cosmique. A vous entendre, les faunes, les minotaures, les sphinges, les squaméens, tous sont des monstres. Et je ne parle pas de nous, les Ourgash, que vous appelez « nécromanciens de Thosq » et que vous voyez comme des créatures maléfiques, manipulant une magie interdite. Les Aek Skan, nos cousins forestiers, ne sont guère mieux lotis. Même les nains, si proches de vous, ne trouvent pas vraiment grâce à vos yeux…

- Je te sais gré de cette leçon de philosophie ! s’exclama le Xèrien. Permets-moi de te rappeler ma situation : à chaque pleine lune, je me métamorphose en monstre lupin habité d’une rage terrible et d’une irrépressible envie de tuer ! Tu me pardonneras, je pense, de peiner à voir le « bon côté des choses ». Cela étant dit, j’ai mérité ce qui m’arrive.

- Pourquoi dis-tu cela ?

- Je n’ai pas tout raconté à Valdrim. Dans les ruines de Gadûnzor, où j’ai contracté cette lycanthropie, il y avait une femme. Je l’avais connue au début de ma carrière de mercenaire et je… je l’aimais, ou plutôt j’ai cru l’aimer. Elle était devenue la maîtresse de Zoldar, le mage qui commandait le site pour le compte de la Confrérie de l’Orbe d’Onyx. J’étais ivre de rage et de jalousie. J’ai tué cette femme, puis son amant. J’aurais pu m’enfuir, et aller informer de la situation le marchand toréian qui nous avait recrutés, Valdrim et moi. Non, j’ai cédé au désir de vengeance. J’ai voulu les voir morts. J’en paie le prix. Quand les dieux veulent nous punir, ils exaucent nos souhaits…

- J’ai fait des recherches sur le peuple de Gadûnzor, dit Djin’koura.

- Et qu’as-tu découvert ?

- Les hommes-loups se maîtrisaient parfaitement, une fois transformés. Et la lycanthropie leur procurait une vie bien plus longue que le commun des humains. La soif de violence ne vient pas de la forme que prend ton corps, Aksaros. En fait, il est très rare qu’une métamorphose influe à ce point sur le psychisme d’un individu.- Mais l’homme-loup qui m’a mordu…

- Il était sous l’emprise magique de la Confrérie de l’Orbe d’Onyx. Cette dernière a usé de sortilèges pour le briser mentalement. Salantès a eu recours à la même technique pour tenter de m’arracher mon savoir, dans la citadelle de Saër à Hyrdanos. »

 

Le Xèrien restait perplexe.

« Pourquoi suis-je incapable de me refréner ? se demanda-t-il.

- La réponse est tout à la fois simple et dérangeante.

- Parle sans détour, Djin’koura.

- Cette violence est contenue en toi, Aksaros. En temps normal, tu parviens à la contrôler – et encore, ce que tu m’as révélé de tes actes à Gadûnzor prouve que ce n’est pas toujours le cas – mais ta forme de lycanthrope brise la digue. Toute la tristesse, la haine, la jalousie, l’amertume que tu as accumulées au long des années, te submergent. »

Le Xèrien s’était levé.

« Que faire ?

- La solution se trouve dans ton cœur, répondit la sorcière elfe en s’approchant de lui. Il faut que tu trouves l’apaisement, comme je l’ai trouvé, en partie, malgré les tortures que m’a imposées Salantès. Grâce à toi.

- Grâce à moi ? s’étonna le mercenaire.

- Oui, grâce à toi, Aksaros de Xèria. Outre le fait que tu m’as sauvé la vie à deux reprises, tu as changé mon regard sur les humains et ta compagnie m’est très agréable. C’est d’ailleurs la raison de ma présence ici. Si tu ne veux plus vivre parmi les hommes, pourquoi ne viendrais-tu pas avec moi ? Tu seras traité avec honneur dans ma demeure et je pourrais peut-être t’aider à trouver la sérénité… »

Disant cela, Djin’koura prit la main droite d’Aksaros dans les siennes. Des mains douces, amicales, aussi chaleureuses que les paroles qui les accompagnaient. Le Xèrien tressaillit. Jamais il n’avait senti une telle bienveillance de la part de quelqu’un. Il en fut ému. Il contempla un instant le visage de Djin’koura, aux traits fins et gracieux, au teint pâle, mais barré comme toujours du bandeau noir qui cachait son œil perdu, souvenir des tourments subis dans les geôles de la citadelle de Saër.

 

« Merci, dit-il. Ton amitié me touche. Mais c’est un combat que je dois mener seul. Pour l’instant. Et si j’en sors victorieux, nous nous reverrons certainement. »

Djin’koura secoua la tête en fermant l’œil.

« Étrange mélange de courage et d’inconscience..., murmura-t-elle en souriant. Mais soit, fais ce que tu crois nécessaire. »

Elle lui lâcha la main. Elle commençait à s’éloigner, lorsqu’elle s’arrêta, parut hésiter puis revint sur ses pas.

« Il y a une question que je voudrais te poser, Aksaros.

- Je t’écoute.

-Pendant le temps que tu as passé à mon service, à étudier la magie, je t’ai plusieurs fois parlé de moi et de mon peuple. Mais je ne sais rien de toi, ou presque. Avant d’être mercenaire, qu’étais-tu donc à Xèria?»

Aksaros écarquilla les yeux. Son regard bleu-gris parut se perdre dans les collines. Cette question remuait de douloureux souvenirs.

« Comme tu le sais sans doute, le territoire de Xèria est aujourd’hui divisé entre une trentaine de despotes – on en comptait une centaine au temps de notre splendeur – qui gouvernent le pays depuis leurs palais-forteresses, sous la suzeraineté de l’un d’entre eux, élu par ses pairs, qu’on appelle l’exarque. J’ai vu le jour dans un de ces palais-forteresses, celui de mon père. Mais lorsque celui-ci se convertit au culte d’Ebrek, qui se diffuse dans le nord d’Ikharra comme la peste, depuis l’imperium d’Ishor, il répudia ma mère, qui était attachée aux antiques divinités du panthéon xèrien. Je fus déshérité, et ma mère se réfugia avec moi auprès de sa famille, où elle mourut quelques temps plus tard. Je quittai alors Xèria, pour mener la vie d’errance des mercenaires. Voilà, tu sais tout.

- Ton père est-il toujours en vie ?

- Je l’ignore, et ne veux pas le savoir. Ce que je sais, c’est qu’au moins un autre héritier est né de sa seconde union avec la fille d’un seigneur banorite. Ne m’en demande pas davantage, je t’en prie. »

Djin’koura fixait de son œil sans pupille le Xèrien.

« Adieu Aksaros de Xèria, que tes dieux te protègent. Si tu changes d’avis, sache que ma demeure te restera toujours ouverte. » finit-elle par dire, avant de quitter rapidement le cercle de pierres, laissant le mercenaire à ses pensées.

 

Chapitre II



23/08/2021
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