Le Blog de Carloman

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LES LIONS NOIRS DE ZHÂR - Chapitre II

Les seigneurs-sorciers avaient placé comme à leur habitude les guerriers squelettes en première ligne, autant pour terrifier leurs ennemis que pour limiter les pertes des combattants vivants, qui se comblaient plus difficilement. Mais les cavaliers zhâris chargèrent, sabre au clair, et au terme d'une mêlée brève et furieuse, balayèrent leurs adversaires, laissant la plaine jonchée d'os inertes. Ils ne profitèrent pas de cet avantage cependant, et se replièrent près de leurs archers, sûrs d'avoir instiller le doute chez l'ennemi. Mais les seigneurs de Thosq dévoilèrent alors toute l'étendue de leurs pouvoirs nécromantiques : effarés, les Zhâris virent les morts – leurs propres morts tombés face aux squelettes – se relever, encore couverts de sang, déchirés d'horribles blessures. Mais ces zombies affichaient désormais un regard vide et leurs visages ne laissaient voir aucune émotion. Comme des automates, ils saisirent leurs armes, et se tournant vers leurs amis, leurs frères, parmi lesquels ils combattaient encore peu de temps auparavant, ils marchèrent à leur rencontre, d'un pas traînant, sans volonté, sans ardeur, mais avec une lenteur menaçante.

« Broyer les os, c'est facile, s'amusa Bayan avec un rictus, les squelettes n'ont plus rien d'humains, ils ne sont que les carcasses vides d'hommes morts il y a des lustres, animées par des esprits maudits errant sans repos ; mais là, c'est différent. Le zombie – surtout lorsqu'il est réanimé tout de suite après sa mort – conserve encore une petite part de l'esprit qui l'habitait de son vivant. Bien que sous notre contrôle, il demeure terriblement humain. Alors, sera-t-il aussi simple de le terrasser ? »

Djin'koura acquiesça en silence.

 

Les Zhâris semblèrent hésiter. Puis, répondant à un ordre transmis par les trompettes, les archers encochèrent leurs flèches et tirèrent une première salve. Ils n'eurent guère de peine à atteindre des cibles aussi lentes... mais cela ne ralentit en rien la marche inexorable des morts vivants ! Bayan éclata de rire.

« Le zombie est certes lent, mais il est insensible à la douleur. Pour l'éliminer, deux solutions seulement : le couper en morceau ou le brûler ! A moins d'user de magie... »

Une deuxième salve de flèches n'eut pas plus d'effet que la première.

« Les humains sont incorrigibles, sourit Djin'koura. Ils se sentent souvent obligés de répéter une expérience en s'imaginant que les résultats, dans des conditions semblables, pourraient être différents...

- Le sort de cette bataille est scellé, déclara Bayan avec assurance. Laissons les zombies répandre la terreur dans les rangs adverses, puis les sphinges fondront du ciel pour transformer la déroute en débâcle !

- Ne crie pas victoire trop vite, répliqua Djin'koura en posant sa main sur le bras de son ami. Les Zhâris n'ont peut-être pas dit leur dernier mot. Nous ignorons beaucoup de choses de ce peuple, notamment s'il compte des mages dans ses rangs. »

Comme en réponse à ces paroles, les régiments de fantassins et d'archers s'écartèrent pour laisser passer de nouveaux combattants, restés jusque-là invisibles. Sur des chars couverts d'or et de pierres précieuses, qui ne manquèrent pas d'éveiller la cupidité de plus d'un mercenaire présent dans l'armée de Thosq, se tenaient des hommes à la longue barbe tressée avec soin, coiffés d'imposantes tiares coniques, vêtus d'amples manteaux bariolés dont la forme évoquait plus les attributs sacerdotaux que l'équipement du guerrier, et portant de grandes épées noires à lame légèrement courbe, nimbées de flammes vertes. Chaque char était tiré par six grands lions, deux fois plus grands que des lions ordinaires, au pelage noir comme l'ébène, aux yeux dorés. Ces étranges équipages chargèrent les zombies et les anéantirent promptement : soit les puissants félins disloquaient les corps des morts vivants en portant des coups de leurs énormes pattes, soit le contact des épées enchantées les réduisaient en cendres instantanément ! Ce spectacle plongea les seigneurs-sorciers dans la perplexité et l'inquiétude. Au contraire, un cri de triomphe jaillit de vingt mille poitrines du côté des Zhâris, telle une vague irrésistible montant à l'assaut des rochers.

 

« Les rumeurs sur le pays de Zhâr seraient donc avérées, dit pensivement Djin'koura, l’œil rivé sur les chars.

- De quoi parles-tu ? demanda Bayan, nerveux. Veux-tu bien cesser de faire des mystères ?

- T'es-tu demandé, Bayan, pourquoi les Zhâris sont devenus aussi agressifs depuis un peu plus d'un siècle et demi ? Auparavant leurs tribus vivaient de la traite des esclaves et de la piraterie, mais leurs guerres intestines les rendaient inoffensives.

- Je suppose qu'un potentat les a unifiées, ce qui n'a rien d'extraordinaire.

- Pendant trois mille ans, les Zhâris étaient déchirés par les rivalités inter-tribales, les haines héréditaires entre sédentaires et nomades, les vendettas interminables entre familles dirigeantes. Il faut plus qu'un homme pour mettre fin à cela. Il faut un dieu...

- Explique-toi, Djin'koura, tu parles par énigme.

- Le royaume de Zhâr a connu une ascension fulgurante et j'ai commencé à m'y intéresser, il y a un siècle, lorsque leurs premiers raids ont atteint la lisière sud du pays de Thosq. Voici ce que j'ai découvert : les Zhâris ont abandonné leur ancienne religion, pour en adopter une nouvelle, d'un genre particulier. Ils adorent l'Unique, le dieu de la pierre.

- Quelle pierre ? Cela n'a aucun sens.

- Celle qui fendit le ciel et tomba dans le désert de Zhâr, par une nuit étoilée. Une pierre noire, un bétyle, enveloppé de flammes vertes, venu du fin fond du cosmos, froid au toucher malgré le feu, brillant comme l'obsidienne, plus solide que le diamant. Mais cette pierre était dotée d'un pouvoir miraculeux : elle guérissait les malades, confondait les criminels, enchantait les armes. Bientôt, les Zhâris rendirent un culte au bétyle, voyant en lui le cadeau d'un dieu inconnu et tout-puissant qui les avait choisis, depuis sa demeure d'au-delà du monde connu, pour être témoins et messagers de sa grandeur. Depuis les Zhâris diffusent leur religion par les armes ou par la persuasion. Une bonne partie du sud d'Ikharra a déjà succombé à ce culte et il commence à déborder sur les Confins.

- Et qui sont donc ces hommes montés sur ces chars pour le moins atypiques ?

- Ce sont les prêtres-mages du bétyle, formés dans le temple où la pierre est conservée, au plus profond d’une gigantesque ziggurat. Quoi qu'on pense des croyances zhâries, cette pierre recèle indéniablement une magie très puissante. Leurs armes sont faites d'un acier spécial, déjà d'excellente qualité, mais placées au contact de la pierre, elles deviennent indestructibles. Leurs amulettes baignent pendant des mois dans l'énergie irradiante du bétyle. Tout cela leur confère des pouvoirs contre lesquels nos petits tours de nécromanciens sont insuffisants. Cette bataille ne sera pas une promenade de santé, je le crains. Arme-toi, Bayan, vaillant compagnon, revêts ton armure, brandis ton épée, il nous faut combattre cet ennemi redoutable. »

Djin'koura coiffa son casque et, saisissant sa grande épée, fit signe à sa garde personnelle de la suivre tandis qu’elle dévalait la colline.

 

Chapitre III



24/12/2020
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