Le Blog de Carloman

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LA CITADELLE DES BRUMES - Chapitre IV

 

La silhouette grise et massive de la citadelle de Varghon émergeait de la forêt de conifères, comme un rocher surgissant d’une mer verte, perchée sur le flanc d’un haut pic enneigé, lui-même appelé « pic de Varghon » d’après un terme de la langue des nains signifiant « mont rugueux » ou « coupant », car de nombreux affleurements de silex rendaient par endroit la roche coupante comme un rasoir. Les hautes tours circulaires, menaçantes, semblaient défier les puissances célestes elles-mêmes. Le donjon, large édifice surplombant les courtines, était relié par un pont à l’entrée d’une caverne aménagée dans la montagne. Si celle-ci communiquait d’une manière ou d’une autre avec les royaumes nains, le siège risquait d’être long, pensa Aksaros. Si on lui avait demandé comment il s’était retrouvé là, il eût été bien en peine de répondre. Brégos, l’officier qu’il avait secouru, s’était pris d’amitié pour lui, et Shardour s’était finalement dit qu’un mercenaire aguerri serait un atout supplémentaire dans la lutte impitoyable qui s’annonçait. Le Xèrien n’éprouvait guère l’envie de participer à ce combat, contre une sorcière de surcroît, mais il s’était finalement laissé convaincre par la promesse d’une belle part de butin, Valadéa lui ayant assuré que sa mère tirait de fabuleux revenus des mines qu’elle affermait à des guildes de nains. Toutefois, à la vue de la formidable citadelle, le mercenaire s’était demandé s’il n’avait pas commis une erreur. L’armée de Shardour, forte de plus de trois mille guerriers, avait entamé le siège au jour prévu. Aucune activité ne se devinait derrière les hautes murailles. A cette altitude, le froid était un ennemi des plus redoutables. Les assiégeants besognaient sans relâche pour déployer une impressionnante artillerie de trébuchets, mangonneaux, balistes, qu’il avait fallu acheminer, démontés, depuis les vallées situées en contrebas.

« Ce sont les nains que je redoute le plus, disait Shardour. Tout le monde connaît le proverbe : forteresse par les nains gardée, forteresse à jamais en sûreté. Et ce n’est pas qu’une légende. »

Lorsque Aksaros lui avait demandé comment il comptait s’y prendre, il s’était contenté de sourire en murmurant « Valadéa » d’un air mystérieux.

 

Le premier projectile lancé contre les murailles réveilla d’un coup l’inexpugnable citadelle. Aussitôt furent lâchés, depuis les trappes situées au niveau des mâchicoulis, de lourds boulets qui prirent de la vitesse en dévalant la muraille avant de foncer sur les assiégeants. Mais ces derniers avaient prévu cette éventualité : les balistes tirèrent des traits auxquels Valadéa avait attaché d’étranges fioles. Au contact des boulets de pierre, celles-ci se brisèrent et emprisonnèrent aussitôt les lourds projectiles dans une gangue de glace ! Alors la forteresse lança ses vouivres à l’assaut des machines de siège, mais les salves des balistes les empêchèrent d’approcher et les monstres durent battre en retraite. Le pilonnage reprit et endommagea plusieurs tours et portions de murailles. Toutefois on s’aperçut dans les jours suivants que les assiégés profitaient de la nuit pour réparer une partie des dégâts. Au bout d’une dizaine de jours de bombardement sans résultat probant, il devint évident que la maîtresse de la citadelle escomptait vaincre ses ennemis à l’usure. Shardour et Valadéa tinrent conseil avec Brégos, Aksaros (ou plutôt Okzarès comme il se faisait appeler) et quelques autres officiers.

« Il faut absolument augmenter la cadence de tir, déclara Brégos. Sans quoi il nous faudra dix ans pour faire une brèche dans ces murailles…

- Impossible, répondit un autre officier. Le maniement des trébuchets et des mangonneaux exige une visibilité convenable, et nos ennemis le savent : ils n’allument aucun feu visible la nuit, et ce satané brouillard tombe sur la montagne presque chaque soir. Même la pleine lune, qui arrive dans cinq ou six jours, ne nous aidera guère. »

A ces mots, le Xèrien sentit l’appréhension étreindre son cœur.

 

Shardour se tourna vers Valadéa :

« Ta magie ne peut-elle nous aider davantage ? demanda-t-il.

- Ma magie peut beaucoup de choses, répondit l’intéressée, mais aucun mage ne peut renverser des remparts comme ceux de la citadelle de Varghon. Et n’oubliez pas que ma mère a le pouvoir de me contrer. Il me faut admettre que je suis loin de l’égaler dans le maniement des arts occultes.

- Pourquoi ne pas tenter un assaut, par surprise, à l’aube ? proposa Brégos.

- Non, dit Shardour. Les nains sont des gardiens vigilants, ils ne se laisseront pas surprendre et ce sera un massacre. D’autant qu’eux aussi ont des machines de guerre, certainement fort ingénieuses, que nous n’avons pas encore vues en action. Il faut être prudent.

- Mais Brégos a raison, dit Valadéa, notre prudence donne un avantage à ma mère. Elle sait que le temps joue contre nous, et elle guette le moment où la lassitude érodera les ardeurs de nos troupes.

- Il faut tenter une opération d’infiltration » dit alors le Xèrien.

Tous se tournèrent vers lui.

« A quoi penses-tu ? demanda Shardour.

- Un assaut frontal est voué à l’échec, reprit le mercenaire. Mais la brume nocturne, si elle nous gêne, est également un handicap pour nos ennemis, ils ne nous verront pas. Il faut qu’un petit groupe d’hommes parvienne à entrer dans la forteresse, discrètement, afin de prendre le contrôle de la porte principale. Une attaque générale sera plus efficace si vous trouvez les portes de la citadelle grandes ouvertes à l’aube… Je suis évidemment volontaire pour participer à cette opération. »

Un silence accueillit cette proposition audacieuse. Valadéa adressa un sourire de soutien au Xèrien. Brégos, le premier, prit la parole :

« Okzarès a raison, Shardour, et je suis volontaire pour l’accompagner.

- Combien d’hommes faut-il ? s’enquit Shardour.

- Une quinzaine, une vingtaine, pas plus, répondit le Xèrien. Des guerriers fiables et volontaires, conscients des risques. Parce que, si nous échouons, c’est la mort assurée…

- Je suis sure que si tu promets une double part de butin, tu trouveras des volontaires, affirma Valadéa en se tournant vers Shardour.

- Bien » acquiesça ce dernier après quelques instants d’hésitation.

Puis, se tournant vers Brégos, il ajouta :

« Je te charge de sélectionner les volontaires. Tu as deux jours. »

 

Chapitre V



25/08/2021
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