Le Blog de Carloman

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LA CITADELLE DES BRUMES - Chapitre III

 

Dans la grande tente où on lui avait accordé audience, Aksaros observait avec attention ses deux interlocuteurs : un homme de haute taille, un peu plus grand que le Xèrien, plus longiligne également, armé de pied en cap, les mains appuyées sur une lourde masse d’armes et dont le casque orné d’impressionnantes ramures de cerf ne laissait voir qu’une moustache châtain et des yeux noisette dans lesquels ne se lisait aucune émotion particulière ; une très belle jeune femme, de taille moyenne, au teint diaphane, aux traits dénués de toute imperfection, à l’abondante chevelure blonde tressée avec grand soin, portant une sobre mais élégante robe bleue, sans fioriture, serrée à la taille par une ceinture de cuir à boucle de bronze, et, pour tout bijou une pierre translucide tenue par un fin collier d’argent. Ses yeux d’un bleu très pur brillaient d’un éclat mi-moqueur, mi-curieux. Ce fut elle qui prit la parole :

« Merci, étranger, dit-elle en employant une variante du dialecte hyrdanien en usage dans les Terres des Confins ; merci de nous avoir ramené Brégos. Après l’avoir examiné, et compte tenu des remèdes que je lui ai administrés, il a de bonnes chances de s’en sortir.

- Valadéa, est-ce bien prudent de parler à cet homme ? Qui sait s’il n’est pas un espion ? » demanda le guerrier casqué, dans une autre langue.

Aksaros tressaillit en entendant ces mots, car ils étaient prononcés en xèrien ! Avec un accent un peu étrange et, semblait-il, des traits archaïsants à en juger par la forme des conjugaisons employées, mais c’était bien du xèrien. Si le guerrier casqué avait cru ne pas être compris, il allait être déçu.

« Rassurez-vous, je ne suis pas un espion, et je suis ici de mon propre chef » répliqua le mercenaire dans sa langue maternelle.

Ses interlocuteurs ne cachèrent pas leur étonnement.

« Tu parles notre langue, étranger ! s’exclama le guerrier casqué, observant le Xèrien avec une attention accrue.

- A moins que ce ne soit toi qui parles la mienne, dit Aksaros. J’ignorais qu’on pratiquait cette langue en-dehors de Xèria.

- Qui es-tu ? s’enquit la jeune femme que son compagnon avait nommée Valadéa.

- Je suis Okzarès de Xèria, répondit le mercenaire, jugeant plus prudent de taire son véritable nom. Je cherchais la solitude dans cette contrée reculée lorsque je suis tombé par hasard sur le champ de bataille où j’ai ramassé votre ami. Voilà. Et vous, qui êtes-vous ? A ce que j’ai vu, ce campement doit bien compter quelques centaines de soldats. Pourquoi un tel déploiement de force ? Seriez-vous en guerre contre les nains des Monts du Kaldéhon ? »

 

Le guerrier casqué et la jeune femme se regardèrent. Ils semblaient hésiter.

« Nous sommes en guerre, en effet, dit le guerrier, mais pas contre les nains du Kaldéhon, bien que ceux que tu as vus gisant sur le champ de bataille en étaient. Mais il s’agit de mercenaires à la solde de notre ennemi. »

L’homme s’exprimait toujours en langue xèrienne.

« Qui es-tu ? demanda Aksaros. Tu parles la langue de Xèria, tes armes rappellent celles que l’on forge à Xèria, et pourtant tu n’es point xèrien. »

Un léger sourire se dessina sur le visage du guerrier casqué.

« En effet, je ne suis pas du pays que tu appelles Xèria, et dont je n’ai jamais entendu parler. Je me nomme Shardour. Mon peuple vit ici, en bordure des Monts du Kaldéhon, depuis des temps immémoriaux. A en juger par la proximité de nos langues, j’en déduis que les gens de Xèria nous sont apparentés, bien que cette parenté ait sombré dans l’oubli chez nous comme chez vous. Où se trouve ton pays ?

- Loin, très loin d’ici, au nord-ouest d’Hyrdanos et de Toréia, sur les rives de l’Océan Occidental. C’est un pays enclavé entre les montagnes et la mer. Rares sont les Xèriens qui s’aventurent au-delà des cités de l’Ouest.»

Aksaros sentait poindre en son cœur un sentiment de réconfort. Ainsi donc, les Xèriens n’étaient pas les derniers de leur antique race, dont un rameau avait survécu en cette région isolée. Peut-être n’était-ce pas le seul ? Le mercenaire fut tiré de ses réflexions par un cri en dialecte xèrien venu de l’extérieur de la tente :

« Alerte ! On nous attaque ! Aux armes ! »

Shardour et Valadéa se précipitèrent dehors. Aksaros leur emboîta le pas.

 

Le campement était en effervescence. Les hommes et les femmes – car cette population appelait les femmes à la guerre contrairement aux usages de Xèria – couraient en tout sens, tantôt se regroupant, tantôt se dispersant. Nombre de guerriers jetaient des regards inquiets vers le ciel. En les imitant, le mercenaire ne tarda pas à apercevoir trois créatures volantes, qui s’approchaient à vive allure. Lorsqu’elles furent assez près, il remarqua que l’une d’elles portait sur son dos un homme ou du moins une créature humanoïde. Les vouivres, car c’était là le nom courant de ces créatures, piquèrent sur le campement. Moitié moins grandes que leurs cousins les dragons, les vouivres ne possédaient ni la puissance, ni l’intelligence de ces derniers. Elles étaient par exemple incapables d’apprendre le langage des humains. Mais il était possible de les dompter contrairement aux dragons, et elles n’en demeuraient pas moins de redoutables adversaires, capables de carboniser de leur souffle brûlant plusieurs hommes en quelques minutes, sans parler des griffes et des dents acérées qui représentaient un danger tout aussi mortel. Les soldats bandaient fébrilement les cordes de leurs arbalètes, lorsque la silhouette qui chevauchait l’un des monstres leva le bras, et tous virent qu’elle tenait dans la main une sorte de bâton. Une lumière aveuglante jaillit de l’extrémité de ce dernier. En hurlant, les guerriers portèrent les mains à leurs yeux. Puis un déluge de feu s’abattit sur les tentes. Aksaros, comme les autres, avait momentanément perdu l’usage de ses yeux, mais pas son sang-froid. Il sentit le danger, se jeta à terre et rampa vers le couvert des arbres. Les cris de douleur et de terreur, le sifflement des queues des vouivres battant l’air lui indiquaient que les créatures reptiliennes s'étaient posées pour poursuivre leur offensive.

 

Au bout de plusieurs minutes, le Xèrien ouvrit les yeux. La vue, encore brouillée, commençait à lui revenir. Apercevant une arbalète non loin de lui, le mercenaire s’en empara et bondit sur ses jambes. Il avait recouvert l’usage de ses yeux. En pivotant, il vit qu’une des vouivres s’était posée non loin de lui, déchiquetait les tentes, brisait et piétinait les présentoirs d’armes, et balayait de sa queue les guerriers qui s’avisaient de l’attaquer. La corde de l’arbalète tinta et le carreau fila se ficher à l’arrière de la tête du monstre, qui poussa un hurlement assourdissant et prit son envol sans demander son reste, sous les cris de joie des soldats témoins de la scène. Ses deux congénères avaient déjà repris de l’altitude pour s’éloigner, hors de portée des traits vengeurs. L’attaque était terminée. Aksaros ne tarda pas à retrouver Shardour et Valadéa.

« Il y a peu de morts, mais pas mal de blessés, maugréait Shardour. La moitié des tentes est brûlée ou en lambeaux, une partie des animaux de bâts s’est enfuie. L’objectif était clair : semer le désordre et la panique dans nos rangs. Mais c’est peine perdue ! Nous ne reculerons pas, ajouta-t-il en serrant le poing.

- Qui est à l’origine de cette attaque ? demanda le Xèrien. Un être humain ou une créature y ressemblant chevauchait une des vouivres.

- Un être humain, en effet, acquiesça Valadéa.

- C’était notre ennemi, dit Shardour d’une voix grave. Une femme.

- Qui est-ce ? insista Aksaros.

- A ma grande honte, je dois dire qu’elle est ma mère, dit Valadéa. Je ne prononcerai pas son nom, qu’il soit maudit ! »

 

Le Xèrien n’en croyait pas ses oreilles.

« Je comprends ta surprise, Okzarès, reprit la jeune femme, et nous te devons des explications. Cette expédition a pour objectif de prendre la forteresse où se terre ma sorcière de mère depuis qu’elle a assassiné mon père, il y a deux ans de cela. Voilà plusieurs mois que nous combattons ses alliés et ses sortilèges. Elle est redoutable, car grande est sa connaissance des arcanes.

- Mais notre persévérance est sur le point de payer, poursuivit Shardour. L’étau se resserre inexorablement, nous lui avons infligé de sérieux revers ces derniers temps. Elle le sait, et c’est pourquoi elle a lancé cette attaque. C’était pourtant inutile. Nous avons divisé nos forces en quatre groupes. Celui-ci avance à découvert, mais c’est un leurre, un appât, car nous nous attendions à une action de sa part. Le reste de nos troupes avance discrètement, sous le couvert de la forêt. Dans deux jours, nous investirons la citadelle de Varghon, le repaire de ce démon. »

Shardour parlait avec assurance. Aksaros, lui, se demanda s’il existait une seule région d’Ikharra épargnée par les machinations de quelque mage maléfique.

 

Chapitre IV



25/08/2021
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