Le Blog de Carloman

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EMBUSCADE - Chapitre IV

 

Les deux tiers des mercenaires étaient hors de combat, tués ou gravement blessés. La guerrière de Vanji qu'Aksaros avait surprise dans les bras de l'Ishorite avait connu là sa dernière étreinte, ses derniers baisers, puisqu'elle gisait, le corps coupé en deux au niveau de la taille, le crâne brisé par les sabots. Valdrim et Aksaros ne déploraient que des blessures superficielles, mais le guerrier à l'armure étincelante avait perdu beaucoup de sang et était affaibli, mais il tint à reprendre sa place au premier rang. Le nain et le Xèrien, qui se trouvaient à ses côtés, ne purent qu'admirer le courage de cet homme. Aksaros, pour l'occasion, révisa son jugement sur les Ishorites. Assurément, celui-là était un guerrier digne de ce nom. La bardiche de Valdrim s'était brisée au cours de la lutte, et le nain avait dégainé une courte épée. Comme un mercenaire se moquait de cette arme, Valdrim répliqua que son épée était bien assez longue pour toucher sa cible.

« Et cela est valable pour toutes les armes, et pas seulement les armes... » ajouta le nain, déclenchant les rires, malgré la situation pour le moins dramatique.

 

Le bruit sourd des sabots résonna à nouveau, et avant que quiconque eût pu réagir, une gigantesque créature fondit sur les mercenaires et embrocha de ses énormes cornes l'Ishorite. Bien que la créature parût être seule, la panique gagna certains mercenaires, quelques uns jetèrent leurs armes et s'enfuirent, mais une fois franchis la palissade et le fossé, ils n'allèrent pas loin : leurs hurlements et leurs râles d'agonie informèrent leurs camarades que les faunes et les minotaures encerclaient le village, et que toute tentative de fuite serait vaine. Le guerrier à l'armure étincelante faisait quant à lui de pitoyables moulinets avec son arme, avant que celle-ci ne lui échappât des mains. Il paraissait n'être qu'un pantin désarticulé. D'un vigoureux revers de tête, son adversaire l'envoya rouler à quinze mètres. La créature devait mesurer au bas mot trois mètres et demi de haut. Elle avait un corps taurin quadrupède, massif, trapus, contrairement aux minotaures bipèdes, mais au niveau du garrot commençait un buste humanoïde, monstrueusement musclé, qui se terminait par un visage aux yeux luisants d'une intelligence cruelle, aux traits épais mais presque humains, n'eussent été ces deux cornes qui devaient mesurer chacune plus d'un mètre. Ceux qui en avaient entendu parler et qui, en cet instant, ne furent pas submergés par une terreur démente, reconnurent un légendaire bucentaure. D'ordinaire, ces créatures vivaient au plus profond de la forêt de Purfinn, et les hommes n'en voyaient jamais, au point de douter de leur existence. Mais celui-ci était bien réel, vision d'épouvante au milieu des ruines et des cadavres. Aksaros, d'abord aussi sidéré que les autres, fut le premier à recouvrer ses esprits. Se demandant pourquoi le bucentaure était seul, il comprit qu'il s'agissait du chef de la horde, celui-là même qui avait rassemblé les faunes et les minotaures pour en faire une troupe aussi dangereuse, grâce à la force sans doute, à la ruse certainement, à la magie possiblement.

« A vos arcs ! A vos arbalètes ! hurla le Xèrien. Abattez-le ! Abattez-le ! »

Sortis de leur torpeur, plusieurs mercenaires saisirent leurs armes et criblèrent de traits la créature. Mais le bucentaure resta immobile, et aucune flèche, aucun carreau, ne le blessa, même ceux qui semblèrent l'atteindre, soit que sa peau fût d'une résistance hors du commun, soit qu'un enchantement quelconque le protégeât. Le monstre tenait dans ses mains puissantes une énorme faux de guerre, et pour beaucoup de mercenaires, il avait en cet instant le visage de la mort venue les faucher.

 

Mais Aksaros n'avait nulle envie de mourir. Si impressionnant qu'il parût, le bucentaure était un être de chair et de sang, et il pouvait être vaincu. Le Xèrien empoigna fermement son épée d'une main et dégaina une de ses dagues de l'autre. Puis il se dirigea d'un pas décidé vers la créature, le visage crispé, les muscles tendus. Le voyant approcher, le monstre le chargea. Juste avant qu'il fût sur lui, Aksaros fit un bond de côté et frappa au niveau de l'encolure. Une profonde entaille arracha un cri de douleur, de surprise et de colère mêlées au bucentaure. Faisant volte-face, ce dernier voulut frapper l'impudent de sa faux, mais le deuxième coup du mercenaire, précis, brisa la hampe de son arme. Valdrim s'était glissé derrière le bucentaure et porta plusieurs coups d'épée sur ses pattes arrières. Un puissant coup de sabot projeta le nain à terre. Le Xèrien mit à profit cet instant d'inattention pour enfoncer sa lame dans le buste musculeux. Le bucentaure lâcha son arme sous l'effet de la douleur. Il tenta alors d'encorner Aksaros comme il avait empalé l'Ishorite. Mais le Xèrien n'était pas aussi affaibli, et put esquiver l'attaque. Ce faisant, le bucentaure découvrit brièvement sa nuque et la dague d'Aksaros y pénétra profondément. Le monstre devint comme fou, se mit à pousser des cris inhumains (la plupart des mercenaires se bouchèrent les oreilles) et à ruer dans tous les sens. Il parvint à extraire la dague et un flot de sang jaillit de la blessure. Le Xèrien reçut plusieurs coups de sabot, dont un qui lui entailla profondément la joue, mais il était décidé à terminer sa terrible besogne. Il fracassa de son épée une des pattes avant de la créature, qui perdit l'équilibre et tomba à genoux. Alors Aksaros rengaina dague et épée et saisit les deux énormes cornes du monstre affaibli. Pendant plusieurs minutes, l'homme et le bucentaure luttèrent, jetant leurs dernières forces dans ce duel de muscles et de volonté. Ce fut l'homme qui l'emporta, obligeant la créature à baisser la tête presque jusqu'à toucher terre. Alors Valdrim vint, armé d'une hache qu'il avait récupérée sur un mercenaire mort et, d'un coup vigoureux, il décapita le bucentaure. La tête fut placée en haut de la grande épée de l'Ishorite, et le Xèrien sortit du village, escorté des mercenaires survivants, pour promener le sinistre trophée en poussant des clameurs de triomphe, en cognant les armes contre les boucliers, le tout accompagné de menaces et d'imprécations. La témérité fut récompensée, car aucun faune, aucun minotaure ne s'avisa d'attaquer les mercenaires. Lorsque le funèbre cortège regagna le village calciné, et alors que les premiers rayons du soleil annonçaient l'aube imminente, la campagne était redevenue calme et silencieuse.

 

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14/08/2020
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