Le Blog de Carloman

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EMBUSCADE - Chapitre V

 

La baron Tarcho, premier sénéchal de la principauté de Banor, homme encore jeune, de petite taille, trapus, à l'abondante barbe rousse, ayant fini son repas, se dirigea d'un pas tranquille vers la grande salle du château. Sur sa houppelande de velours noir doublée de fourrure brune, il portait un ample manteau rouge vif frappé du léopard blanc, les armes de sa famille. A son côté pendait une épée à la poignée et au pommeau d'or superbement décorés de motifs repoussés. Malgré l'épaisseur des murs de la forteresse, on entendait le vent d'hiver siffler à l'extérieur. Arrivé dans la grande salle éclairée de torches et de braseros, le baron s'installa sur son grand fauteuil de bois sculpté. Les audiences étaient terminées, et la salle était déserte, mais le premier sénéchal avait un rituel : après le repas du midi, il se retirait quelques heures dans la grande salle, seul, afin de méditer et de lire divers messages et compte-rendu qu'on lui faisait parvenir. Les documents se trouvaient rangés en pile sur une petite console à côté du fauteuil. Un grand chien de chasse somnolait paresseusement près du feu crépitant dans la cheminée. Le baron s'était déjà plongé dans ses lectures lorsqu'un bruit lui fit relever la tête. Un homme armé et cuirassé s'avançait d'un pas lent et mesuré, une arbalète braquée sur le dignitaire banorite.

 

« Qu'est-ce que... C'est toi, Aksaros ? s'exclama le baron en reconnaissant le Xèrien. Au nom d'Ebrek, veux-tu bien me dire ce que tu fais ici ? Et que signifie cette arme pointée sur moi ?

- Tu dois être surpris de me voir, Tarcho, répondit le guerrier. N'avais-tu pas prévu que je sois mort, avec les autres mercenaires que tes hommes ont lâchement abandonnés au cours de cette terrible nuit ?

- Je ne vois pas de quoi tu parles, tu as dû vider trop de chopes de bière à la taverne, répliqua le Banorite avec une pointe de dédain dans la voix.

- Vraiment ? Ce n'est pas tout à fait ce qu'a dit le capitaine des gardes qui nous accompagnaient, avant que je l'égorge. Il a affirmé que cette expédition était destinée à te débarrasser de tous les mercenaires qui ne t'étaient plus d'aucune utilité. Plutôt que de verser les soldes prévues dans les contrats, il était plus simple de les envoyer à une mort certaine, n'est-ce pas ? Car, si tu ignorais la nature exacte de la menace, tu connaissais l'ampleur du danger. Seulement voilà, quelques-uns d'entre nous ont survécu. Sache que j'ai combattu et vaincu le bucentaure de Purfinn qui semait la terreur dans cette région reculée. »

Le baron était devenu blême, et ses yeux se dirigèrent vers les portes de la grande salle. Aksaros lut dans les pensées du Banorite.

« N'y songe même pas, dit le Xèrien. Les deux soldats qui gardent ta porte gisent, morts, derrière les battants. Et mon ami Valdrim le nain monte la garde.

- Écoute, Aksaros, comprends-moi, dit Tarcho, et sa voix trahissait sa peur grandissante. La charge de premier sénéchal est lourde... et coûteuse. Les tournois, les banquets... Je... Je n'avais pas les moyens de payer tous mes mercenaires. »

Aksaros n'en croyait pas ses oreilles.

« Il est de bon ton pour les gens comme toi, Tarcho, de mépriser les gens comme moi. Ne dites-vous pas, lors de vos agapes aristocratiques, que les mercenaires comme les prostituées se vendent au plus offrant ? Mais laisse-moi te dire que la dernière des catins vaut mieux que toi, scélérat. Tu possèdes peut-être des châteaux, des titres ronflants, de beaux vêtements, des armes de luxe, mais il te manque l'essentiel : l'honneur. Tu vaux moins que le crottin de ton cheval. »

 

La panique gagnait le baron. Il ne quittait pas l'arbalète des yeux. Le Xèrien s'était arrêté à distance raisonnable. Le grand chien avait relevé la tête, mais il ne voyait pas la menace et demeurait passif.

« Attends, attends, Aksaros ! Tu as vaincu un bucentaure, dis-tu ?"

Le mercenaire tira d'un grand sac qu'il portait au dos la tête hideuse de la créature. Le Banorite réprima un cri de terreur et de stupeur.

« Mais... C'est... incroyable. Écoute, Aksaros, j'ai fait une erreur, je m'en rends compte à présent. Je vais te dédommager. Tu recevras le double de ce que prévoyait ton contrat, et ton ami aussi. J'ai besoin d'hommes tels que toi. Tu peux devenir officier dans ma garde personnelle. Je... Je te présenterai au prince, et la noblesse de Banor t'acclamera. Tu... »

Un claquement sec se fit entendre et le carreau atteignit en plein cœur le baron, qui s'affaissa sur son fauteuil.

« Tu uses ta salive pour rien. Il y a des erreurs qui ne peuvent être pardonnées, déclara solennellement le Xèrien. Un mercenaire qui trahit son employeur mérite d'être pendu. Un employeur qui n'honore pas un contrat mérite la mort. C'est la règle fixée par la guilde des mercenaires. »

Aksaros s'approcha de sa victime et put constater qu'elle avait été tuée sur le coup. Il la fouilla rapidement en gardant un œil sur le molosse, qui avait repris ses somnolences. Il finit par trouver une grande clé de bronze, puis déposa sur la console la tête du bucentaure.

« Quant au dédommagement, sois tranquille, dit-il en esquissant un sourire moqueur. Nous allons nous dédommager nous-mêmes, sois en certain... ».

 

FIN

 

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15/08/2020
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